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Cet article a été rédigé par Oxana Gouliaéva, experte en stratégie marketing pour la Tech et l’IT.

Zuckerberg a jeté le pavé dans la mare. Maintenant que son entreprise va payer pas moins de 10 milliards de dollars pour devenir une entreprise de métavers, une nouvelle course technologique commence. Tous se pressent de présenter leur vision, voire un agenda pour le métavers afin de créer le buzz ou attirer les investisseurs. Dans quel métavers (ou plutôt plusieurs) vivrons-nous dans quelques années ? Avant de se prononcer, considérez les angles morts.

Selon le cabinet Sentieo, le terme « métavers » est apparu au moins une fois dans 158 transcriptions d’entreprises en 2021 et 93 de ces mentions ont été faites après le 28 octobre, date à laquelle Facebook a annoncé son changement de marque. La promesse d’un métavers est utilisée par les entreprises de la tech, du gaming et de l’entertainment pour créer le buzz, attirer les développeurs et séduire les investisseurs, mais surtout pour servir leurs intérêts commerciaux. Il faut dire que le gâteau est énorme : selon les estimations d’Emergen Research le marché naissant de métavers atteindra 828 milliards de dollars en 2028, et qui sait, peut-être infiniment plus. Et puisque le métavers n’est pas le produit d’une seule entreprise, mais un environnement numérique, l’internet du futur qui sortira des écrans pour fusionner avec le reste du monde, les acteurs technologiques s’activent.

  • Nvidia, le géant des puces graphiques, possède déjà sa propre plateforme logicielle de métavers appelée Omniverse. Microsoft a lancé Mesh, sa plateforme de réalité mixte, au premier semestre 2021 et prévoit de combiner avec Teams.
  • Roblox et Decentraland n’ont pas attendu Facebook pour lancer presque simultanément fin octobre les tout premiers festivals de l’histoire dans leurs métavers respectifs. Decentraland est un monde virtuel décentralisé basé sur la blockchain et Roblox — entreprise cotée avec un chiffre d’affaires qui a frôlé un milliard de dollars en 2020.
  • Encore en avril 2021 Epic Games, créateur de Fortnite, a annoncé une levée de fonds d’un milliard de dollars pour soutenir les opportunités de croissance des métavers. Afin de développer des « métavers du monde réel », Niantic, la plateforme de réalité augmentée qui développe des jeux comme Pokémon GO, vient de lever 300 millions de dollars, ce qui porte sa valorisation à 9 milliards.

Leurs futurs clients seront nombreux : Hasbro, Playboy, Dolce & Gabbana déroulent leurs projets d’avenir en lien avec le métavers, Gucci et Nike se payent déjà des espaces dans Roblox, et même Disney annonce à ses investisseurs son intention de créer son propre métavers pour mieux connecter son public.

La compétition sera rude. Elle se fera sur l’accès au capital, l’innovation technologique et la préférence des joueurs et de marques pour tel ou tel univers, donc le marketing. Avec un tel potentiel pour influencer notre avenir, il est essentiel de comprendre les implications de ces premiers travaux et projets. Nous vous proposons de considérer trois angles morts du métavers rarement évoqués dans le grand battage médiatique.

nvidia omniverse

Interopérabilité : entre les walled gardens et le wild wild west

Tim Sweeney, CEO d’Epic Games, prône depuis des années un métavers partagé, où les participants pourraient passer d’un monde à l’autre en conservant les apparences et les objets et restant socialement connectés les uns aux autres. Il avoue cependant qu’un tel métavers nécessiterait un nouveau modèle de programmation qui ressemblerait à une plateforme vivante, ouverte et évolutive, et que jusqu’à présent, un tel modèle n’existe pas. Il est rejoint sur ce point par John Carmack, créateur d’Oculus qui conseille Facebook-Meta sur la VR et qui a été direct dans sa keynote du 28 octobre : « Tout le monde s’accorde pour dire qu’une plateforme fermée ne mérite pas d’être appelée un métavers, mais qu’il existe un spectre où l’on peut avoir des choses complètement ouvertes, assez « wild west », et des plateformes d’applications uniques complètement fermées. Il y a fort à parier que nous ne serons pas complètement du côté « wild », mais il faut accepter que dans le monde actuel des systèmes centralisés fournissent le plus de valeur ».

Bref, l’interopérabilité promise par le patron de Facebook n’est pas pour demain et la faisabilité technique n’en est pas la principale raison. L’opposition entre un système ouvert et un système fermé c’est une opposition de deux chaînes de valeur opposées avec deux architectures différentes. Un enjeu de pouvoir, en somme. Celui qui contrôle la fine couche entre le créateur de contenu et l’utilisateur, a un pouvoir de coordination sur les différentes briques de la chaîne de valeur et créer ainsi une meilleure expérience de bout en bout, ce qui est impossible à faire dans un écosystème ouvert. Force est de constater que le seul univers digital 100% interopérable qui existe aujourd’hui est le web. Les efforts de W3C, organisme à but non lucratif chargé de superviser le développement des standards et promouvoir la compatibilité des technologies, y sont pour beaucoup. Bien sûr, l’intensité de la concurrence varie selon les marchés, et par exemple, Google et Facebook dominent une grande partie du marché publicitaire, mais il existe un grand écosystème web, sain et ouvert, auquel ces entreprises contribuent sans imposer leur norme.

metavers VR

C’est moins le cas dans des domaines plus récents. Prenons l’exemple des assistants vocaux, marché où deux grands assistants, ceux d’Amazon et de Google, cohabitent, mais chacun aimerait régner sans partage. Ils n’ont montré qu’un enthousiasme modéré quand Sonos a développé une technologie permettant d’utiliser simultanément plusieurs assistants vocaux pour laisser à l’utilisateur le choix de faire appel à l’un ou à l’autre pour gérer telle ou telle tâche en utilisant des invocations différentes. Google empêche contractuellement cette prise en charge multiple en déclarant que l’interopérabilité doit s’équilibrer avec l’expérience utilisateur, le respect de la vie privée, la sécurité, etc., en un mot, en voulant garder la main sur la chaîne de valeur et l’architecture sous-jacente. En face, l’entreprise de Jeff Bezos semble davantage disposée à collaborer avec d’autres acteurs : elle a, notamment, ouvert la porte à Microsoft et a lancé en 2019 son Voice Interoperability Initiative. Plusieurs acteurs du hardware et du software ont rejoint le programme, mais aucun standard n’est en vue. Pure communication ou stratégie d’attentisme ? Tout laisse à croire que les grands discours sur l’interopérabilité resteront au mieux des perspectives très long terme.

Dans ce contexte, l’obsession de Facebook par le casque de réalité virtuelle est évidente. Mark Zuckerberg a raison de dire que le smartphone, qui nous a libérés autrefois des fils et des ordinateurs lourds, est devenu un frein. Pourtant la préoccupation première du patron de réseau social n’échappe à personne : il a besoin de contrôler le terminal pour contrôler l’expérience et l’écosystème, et pourquoi pas, un jour se défaire de l’emprise des OS des autres. Il suffit de se rappeler le conflit entre le réseau social et Apple au sujet de la privacy ou des achats faits dans l’application, soumis aux 15% ou 30% d’Apple ou de Google. Quand l’acteur avec la plus grande base d’utilisateurs promet l’interopérabilité, peut-on le croire ?

Philosophie : haute immersion ou haute définition ?

L’engouement pour le métavers suppose que la réalité numérique n’est immersive que si vous êtes en réalité virtuelle ou augmentée, avec un casque sur la tête. C’est ignorer les processus neuronaux d’engagement et d’attention.

Minecraft en est la preuve. En mars 2020, au début du confinement, pendant que certains apprenaient à utiliser Skype, Teams et Zoom pour leurs visioconférences, d’autres organisaient leur éducation – supérieure, pas primaire – dans Minecraft pour plus d’engagement et de fun. Les étudiants de l’université technique de Rostov-on-Don, au sud de la Russie, y ont recréé leur salle de classe, avec des tables et un tableau noir, et ont assuré le streaming sur Twitch et des discussions dans Discord. Tous étaient présents en tant que personnages, même le professeur qui ne s’est pas contenté de donner son cours, mais a ajouté des notes virtuelles au tableau. La diffusion sur Twitch a été suivie par des centaines de personnes et a donné lieu à une avalanche de discussions enthousiastes. Comme le commentait un étudiant : « Nous avons eu un sentiment d’unité comme jamais ». Et pourtant, quoi de plus low-fi tech que Minecraft, et quoi de moins pratique que plusieurs outils non-intégrés.

Ce n’est pas la sophistication des univers qui garantit l’engagement, mais les mécanismes du jeu. Quand les gens se connectent à l’univers de sur Minecraft, accessible avec des ordinateurs des plus basiques, la raison est simple : ils y vont pour jouer. Ici la créativité n’est pas une option, mais un must-have. C’est à vous de construire votre univers et de vous poser vos défis. Le jeu n’existe tout simplement pas si vous ne créez rien vous-même, à l’opposé du métavers promis par Zuckerberg. Aujourd’hui, Facebook semble travailler sur des outils de création, mais la première préoccupation reste de faire payer des clients passifs pour l’utilisation de son propre univers. John Carmack le comprend quand il dit : « Minecraft et Fortnite sont plus proches du métavers que tout ce que Facebook a construit ou est susceptible de construire, sauf si nous avons vraiment beaucoup de chance. »

meta workplace et Teams

Interface : voir ou écouter ?

Tout le battage médiatique autour du métavers tourne presque exclusivement autour de son aspect visuel : la qualité des avatars, la superposition des mondes physique et numérique, le device à porter sur la tête. Cependant, s’il y a un élément incontournable pour créer des mondes virtuels convaincants et transformer la communication entre les humains, c’est l’audio, grâce aux capacités des technologies liées au langage et au son spatialisé.

Quand Microsoft a annoncé la très proche intégration de Teams avec le Workspace de Facebook, on en a vu de nombreuses images, mais sans jamais s’intéresser à une autre fonctionnalité, subtile, mais potentiellement révolutionnaire pour la communication humaine si appliquée au métavers du monde de travail : la traduction automatique simultanée pour un grand nombre de langues, qui fait objet de travaux de Microsoft depuis des années. Imaginez une réunion multilingue où tous les participants parlent votre langue, même s’ils ne la connaissent pas. Cela permettrait non seulement de réduire les barrières linguistiques et interculturelles, mais aussi aider les gens à mieux se connecter et à nouer des relations profondes fondées sur une véritable compréhension mutuelle. Un monde mieux connecté, en somme.

Quant au son spatialisé, une voix plate de l’avatar ne suffira pas dans le métavers, car aucune caméra ne transmet les émotions comme un son riche peut le faire. Nous aurons donc besoin d’un son 3D à 360° et de bien d’autres éléments pour rendre ces voix réalistes et transmettre une émotion. Sans cela, les conversations dans le métavers auront autant de valeur que dans une réunion sur Zoom.

Un autre aspect à prendre en compte est la qualité du hardware, puisque les utilisateurs se trouveront dans le même monde virtuel, mais avec des casques et des micros différents. Il appartiendra aux constructeurs du hardware d’investir dans les technologies améliorant la qualité de l’enregistrement et de sa restitution sonore et de les intégrer dans leurs produits, comme ils l’ont fait pour l’image. Et on comptera sur la 5G pour réduire la latence sonore. Une fois que l’écosystème audio spatialisé sera bien établi, l’immersion de tous les événements virtuels sera complète et les participants des festivals et de concerts en VR, devenus populaires avec la pandémie, se feront emporter par la performance sonore dans sa globalité et même par les cris de la foule.

Une multitude d’acteurs participera à ce qui deviendra un jour le métavers. Les jeux sont loin d’être faits et peut-être que ce nouveau terrain de compétition verra la naissance d’un nouveau géant du numérique, plus global que jamais, dont nous ignorons encore le nom.

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